“Il paraît qu’il vaut mieux apprendre avec une méthode syllabique….”

La bataille pour le b,a,ba strict fait rage et il est vrai qu’actuellement, on est plus rassuré d’avoir son enfant dans un CP privilégiant une méthode syllabique.

Néanmoins, on ne commence pas à apprendre à lire à 3 ans comme à 6 ans ! Entre 5 et 6 ans on peut proposer une “petite méthode” syllabique à un enfant qui le souhaite, à condition qu’il ait déjà la notion du mot, qu’il ait feuilleté un syllabaire avec un adulte complice, qu’il ait joué avec des lettres en plastique et qu’on ait l’habitude de lui lire des histoires. Cela ne marche malheureusement pas avec tous les enfants !

De 2 à 4 ans, c’est tout différent. L’enfant n’est pas encore intéressé par les syllabes et ne peut pas comprendre que b+a=ba. Il a encore un long chemin à parcourir. C’est principalement cet accompagnement vers la compréhension de la notion b+a=ba qui fait l’objet de mes livres. On aura accompagné l’enfant dans la joie partagée, dans sa découverte de la lecture en lui proposant, à son rythme, ce qui convient exactement à son développement et à sa manière d’appréhender le monde. Dès lors, il saura lire ou sera prêt pour n’importe quelle méthode, pourvu qu’elle enseigne tous les “sons” au cours de l’année de CP.

On entend affirmer par le courant qui prône la syllabique pure et dure qu’ “il ne faut pas commencer par des mots, mais par des lettres, sinon les enfants devinent les mots d’après les illustrations ou la première lettre, au lieu de les lire, ou bien ne lisent que la première syllabe et devinent le reste.” Cela est vrai pour certains enfants à 6-7 ans, surtout si la méthode utilisée à l’école reste globale trop longtemps. Le même courant prétend qu’il ne faut pas montrer de mots écrits en maternelle mais seulement travailler l’oral et la phonologie (exercices de perception des sons).

Considérons des faits, juste deux minutes.

Lorsque le petit enfant a commencé à parler comme il le pouvait, vous ne vous êtes pas inquiété(e) en vous disant: “Il parle mal….Que faire ?” Lorsqu’il a dit “papa pati bu-eau” vous avez simplement “reformulé” spontanément ce qu’il tentait de dire “Oui mon loulou, papa est parti au bureau…. et il rentrera ce soir”. Soyons conscients que l’enfant qui apprend à parler n’imite pas seulement le langage, mais qu’il le reconstruit peu à peu, invente ses propres règles de syntaxe (j’ai prendu), qui par le dialogue avec son entourage, vont se rapprocher de plus en plus de celles de l’adulte. L’enfant a utilisé toute son intelligence dans la conquête de l’oral et c’est cette construction du langage oral qui m’a toujours émerveillée…. Elle a sans doute été à la base de ma recherche sur l’apprentissage de la lecture.

En lui donnant des mots qui font partie de son univers affectif, je donne au jeune enfant l’occasion de réfléchir de la même manière sur le langage écrit. Comment fait-il ? Il prend le moins de repères possible dans le mot qui l’intéresse pour le reconnaître et le différencier des autres (c’est normal, intelligent, universel et reconnu par la recherche). Depuis plus de 30 ans, je remarque cependant que dès qu’un mot nouveau est introduit, il le compare inconsciemment à ceux qu’il a en mémoire, fait des hypothèses et découvre des “règles” (comme lorsqu’il a dit “j’ai prendu”) . Il réfléchit de la même manière sur le langage écrit (convenablement mis à sa disposition) que sur le langage oral: en rangeant ses mots avec l’adulte, ou quelquefois avant, il percevra la similitude dans maman mamie moto… et pourra découvrir le son habituel de la lettre m. S’il a l’occasion de le faire avec deux-trois lettres, il aura compris (et non appris par cœur comme dans une méthode) que les lettres produisent des bruits. C’est le plus grand principe à comprendre avant de pouvoir tirer profit d’une “méthode” au CP.

Ne privons pas les jeunes enfants d’utiliser leur intelligence pour découvrir le monde – le langage écrit (la lecture) en fait partie- par le dialogue avec leur entourage, et non par un conditionnement quel qu’il soit.

Bien évidemment, accompagner son enfant dans la découverte de la lecture n’est, de mon point de vue, bénéfique que dans un environnement où on lui fait la lecture, où l’enfant joue, connaît ses limites, rencontre d’autres enfants et apprend à vivre en société.

 – Françoise Boulanger